« On raconte qu’un roi, un jour, se prit de désir pour l’épouse de son plus proche compagnon.

Il n’eut pas la moindre vergogne à exiger qu’elle vienne au lit . Elle ne se fit guère prier.
Un après-midi du mois d’août, comme il folâtrait dans sa chambre avec l’élue de son caprice, lui vint la piquante lubie de faire appeler le mari.
L’époux vint donc chez le monarque.
Il le trouva sur l’oreiller, dépoitraillé, caressant le flanc d’une femme tout entière enfouie sous le drap. Il connaissait les fantaisies du roi, il sourit avec l’indulgence qui sied aux familiers des grands. Il entra, demanda pardon, voulut aussitôt s’esquiver.
– Approche donc, lui dit son maître.
Et dénudant, l’œil amusé, les pieds, les cuisses, le nombril, les seins menus de sa compagne, mais point sa figure cachée :
– Ami, regarde ces splendeurs. Ne sont-elles pas désirables ?
Le front suant, la gorge rauque, l’époux convint que ce corps-là était d’une beauté royale.
– N’aimerais-tu pas le toucher ?
Et comme l’autre reculait, balbutiant, les mains agitées:
– Allons, frère, lui dit le roi, entre nous point de simagrées, caresse-la, je te l’ordonne.
Le mari effleura la dame, tant de la bouche que des mains.
Ce fut long, doux et palpitant. Il s’en émut infiniment.
Le roi enfin, las de son jeu, le renvoya d’un geste vague.
Il s’en retourna titubant.

Il ne toucha plus son épouse.
Il s’obséda de cette aimée dont il ignorait le visage.
Sa vie durant, il la chercha sans savoir qu’il dormait près d’elle.
Il ne la découvrit jamais. »

Ainsi, Ami.e, regarde-toi…
Qu’embrasses-tu depuis toujours
et que tu ne reconnais pas ?« 

– Henri Gougaud